La famille White s’est toujours faite discrète, bien que connue dans les milieux comme étant mages noirs de génération en génération. Ma mère, particulièrement fière de ses origines pures, a imposé son nom à mon père ainsi qu’à, en toute logique, ses enfants. Nous étions trois : Effiys, ma soeur aînée de cinq ans, moi-même et mon cadet de trois ans, Avros. Nous étions, tous les trois, destinés à la magie noire et il fut très clair, dès notre plus jeune âge, que toute autre option n’aurait su être acceptée.
Que dire de tout cela ? C’était normal, mais ça ne semblait pas juste, comme une baguette mal adaptée à un sorcier, mais avec laquelle il s’acharne pourtant à lancer des sorts plus que médiocres. Poudlard confirma ce sentiment en m’envoyant à Serdaigle, première tache pour le nom des White, alors qu’Effiys brillait à serpentard et que, quelques années plus tard, Avros fit de même. Autant dire que les repas de famille, après mes 11 ans, avait un goût amer. Mais on pouvait passer sur cette tache, si au moins j’excellais… Et si j’excellais, qui sait, peut-être qu’on me laisserait suivre le chemin que je voulais et non celui que ma mère avait décidé pour moi.
Les dragons m’avaient toujours fasciné, certainement tout comme les petits moldus sont fascinés par les dinosaures, depuis ces histoires que mon père me lisait, enfant, pour m’endormir aux monstres de fumée que faisaient apparaître ma soeur pour m’effrayer, puis pour m’amuser lorsqu’elle se rendit compte que cela me plaisait. Notre professeur de soins aux créatures magiques ne fit qu’accentuer mon hobby, répondant à toutes mes questions et m’indiquant quels ouvrages compulser pour le nourrir. Ce hobby se transforma en passion, puis en choix de vie : il était de mon devoir de les étudier, toute ma vie, pour les comprendre. Très bon élève - un White n’avait pas le droit d’être médiocre - je devins excellent, restant le plus possible à Poudlard sous prétexte d’approcher cette excellence que mes parents attendaient de moi.
En réalité, je cherchais à m’éloigner d’eux, pour ne pas approcher ces majestueuses créatures en portant l’idéologie de ma famille. Je décrochai une bourse pour BeauxBâtons, pour suivre leur cursus de draconologie. Si je partis contre l’avis de ma mère, elle ne s’y opposa pas réellement. Pensait-elle qu’une fois ma passion assouvie par quelques années d’études, je deviendrais sagement le fils qu’elle attendait ? En tout cas, nous ne coupâmes pas nos liens pour autant, non. Plus vicieuse, elle décida simplement que je me débrouillerais par moi-même, ne vivant que de ma bourse dans ce pays étranger.
Qu’importe, Partir me permettait d’espérer réaliser mon rêve et de couper court à la pression maternelle, qui, l’adolescence arrivant, insistait de plus en plus pour me présenter, tout comme ma soeur, à d’autres sang-purs aux intentions peu louables.
Dans ce nouvel environnement, je rencontrai Eugène. Ou plutôt, Eugène me rencontra et se mit presque immédiatement à me coller. Timide et d’abord prudent sur son sang aussi pur que le mien - je n’étais pas là pour retomber dans l’influence de ces cercles élitistes nauséabonds - mais il n’était pas comme ça.
Eugène, c’était de la passion, de la gentillesse, un acharnement qu’il partageait avec moi pour étudier ce qu’il aimait, un esprit vif. Eugène, c’était des plaisanteries qui me faisaient rire, de longues discussions, de l’aide pour nourrir toujours plus mon travail : réseau ou moyens, il mettait tout à ma disposition sans compter. Eugène, c’était la promesse de devenir potionniste de renom et draconologue émérite. Eugène, c’était mon premier baiser, suite à une lettre particulièrement acide de ma mère qui s’attendait toujours à ce que je marche dans ses pas.
Je finis par accepter l’idée que mes parents ne me soutiendraient jamais, mais j’avais Eugène et je voulais être là pour lui tout autant. Et sa famille m’acceptait, que demander de plus ? Le mariage fut en petit comité, joyeux, la suite la plus logique qui soit à notre relation qui s’étoffait de jour en jour. J’aurais sans hésiter abandonné mon nom pour lui, comme preuve que jamais la magie noire ne m’attirerait, mais il préféra montrer encore une fois qu’il m’acceptait tout entier en choisissant mon patronyme. Nos études supérieures nous éloigneraient, nous le savions, aussi enchantâmes-nous nos alliances pour toujours pouvoir nous rejoindre.
Ce jour-là, Eugène, je promis de passer toute ma vie avec toi.
Ayant déjà constitué un solide réseau professionnel grâce à toi et ta famille, je n’eus pas de mal à réaliser mon rêve : partir sur le terrain pour observer de près des dragons. Pendant quelques trop brèves années, avec mon équipe, j’étudiai, m’approchai, me fis plus d’une fois brûler la couenne en étant un peu trop près. Je te retrouvais des étoiles plein les yeux, rédigeais mes observations, t’aimais comme si nous n’avions aucun lendemain et repartais dans de nouvelles aventures. Quand tu m’accompagnais, je ne cherchais pas à te ménager, je voulais tout partager avec toi ; tout comme les quelques fois où je vins avec toi, je ne m’attendais pas à ce que tu m’épargnes.
Quand je revenais avec des blessures, tu me soignais et nous en riions plus que nous ne nous en inquiétions. Cette fois là pourtant, où j’étais parti seul sans avoir le temps de rassembler mon équipe, au risque de rater un accouplement rarissime entre deux espèces qui ne s’accouplaient usuellement pas, je ne revins pas : j’avais pu prendre des notes et des portraits exceptionnels, qui allaient me valoir un livre acclamé, mais je me fis repérer par le mâle, particulièrement agressif… Lorsque tu t’inquiétas de moi, j’étais inconscient dans une crevasse, menacé par la marée montante. Ce fut la première fois que nos alliances sauvèrent la vie de l’un de nous, pas la dernière… Mais ce n’était pas ce qui comptait entre nous. Et pourtant, malgré ton inquiétude sur le coup, tu ne cherchas pas à m’empêcher de repartir.
Cet incident, malgré tout, éveilla-t-il quelque chose, une sorte d’alarme en moi ? Alors que tu voyageais en Afrique pour un voyage initiatique, je cessai d’avoir de tes nouvelles. Je te laissai du temps, essayant de rationaliser, peut-être un peu trop car, lorsque je me décidai en rentrant d’une expédition à te rejoindre, je te trouvai sous la coupe d’un gourou qui cherchait à me remplacer de force dans ton coeur. Il t’avait mis dans un tel état !
Est-ce utile de dire que j’ai perdu tout contrôle sur ma magie, ce jour-là ? Oh, ma mère aurait été fière de moi, sûrement. S’il était encore vivant, ce monstre ne pourrait plus dormir, et non toi. Je me calmai lorsqu’il ne fut plus, lorsque sa prise sur toi se défit enfin. Ou plutôt, je savais qu’elle s’était défaite, mais je peinais à te faire revenir à la réalité.
Je restai à tes côtés quelques semaines après tout cela, le temps que tu te remettes sur pied. Tu ne me reprochas jamais de m’être emporté pour te sauver et cette fois encore, au lieu de t’enjoindre à rester pour être en sécurité, je te promis simplement que je reviendrai toujours te sortir de toutes les mauvaises passes dans lesquelles tu saurais te mettre, tout comme tu le ferais avec moi.
Je réalisai cependant bien vite que tu ne dormais correctement que dans mes bras, et je ressentais une réluctance certaine à t’en priver. Pourtant, nous nous mîmes d’accord, je ne pouvais pas tout abandonner pour te suivre, et il n’était pas question de t’imposer cela non plus. Je t’offris alors Monseigneur, comme pour te dire que même absent, j’étais à tes côtés pour que tu puisses dormir sereinement. Si j’avais su…
Tout aurait pu être si bien, nous aurions pu fêter ta thèse, nous aurions pu continuer à voyager ensemble, finir par nous poser un peu, élever enfants et animaux ensemble. Car tu ne les aimais pas mais, après tout, tu t’entendais bien avec Monseigneur, non ?
Mais ma famille refit parler d’elle en participant à l’assassinat d’Harry Potter. Pire, ils me recontactèrent pour que je les rejoigne, comme s’il était question que j’abandonne mes rêves pour eux. Je m’accrochai à toi avec cet aspect borné qu’on ne me voyait que dans mon travail. Nous décidâmes même de nous cacher parmi les moldus, mais je ne le supportais pas. J’avais tellement l’habitude de vivre ma magie, parfois c’en était proche de l’inconscience. Manque de contrôle ? Je refusais de le voir comme ça, même si plus d’une fois, l’aspirateur s’est passé tout seul. Autant dire que les choses sont rapidement devenues invivables, malgré mon entrain pour certains hobby typiquement moldus (Skyrim, par exemple).
Alors nous repartîmes chacun dans notre passion, toi à tes rites tribaux et moi à mes dragons. Une colonie si peu étudiée, si rare ! Je voulais être le premier humain à m’en approcher. Le premier draconologue à écrire dessus. Je voulais rentrer, pour ta thèse et t’offrir un éclat d’oeuf, ou une écaille tombée, une griffe, quelque chose qui aurait marqué le coup comme nos réussites conjointes. Bien sûr, c’était dangereux. Parce qu’au fond, c’est toujours un peu dangereux de s’approcher des dragons. Parce que je savais que ma mère voulait me remettre la main dessus. Je pensais juste que j’aurais plus de temps. Qu’on se reverrait encore.
Quand les mages noirs attaquèrent, ils étaient plus nombreux, plus violents. Voir ma soeur à la tête de ce groupe fit naître un tel sentiment d’urgence en moi que je ne songeais plus qu’à une chose. Je devais les empêcher de t’atteindre. Je cachai mon alliance pour m’assurer qu’ils ne l’utilisent pas pour te toucher et partis au combat. Nous n’eûmes pas le dessus, loin de là…
Pourtant, alors que je refusai de me rendre, Effiys préféra me lancer un spectrumsembra que m’achever proprement. Son sort préféré, laisser sa victime se vider de son sang et contempler sa mort lentement. Je l’avais souvent vu le lancer, généralement sur des animaux, et je n’aurais jamais imaginé lire une telle satisfaction dans ses yeux. À présent, c’était elle, la plus douée de la famille… Elle fit cependant l’erreur de partir avant d’être certaine de m’avoir achevé.
Ma survie fut pour ainsi dire miraculeuse. Je la dus à un groupuscule luttant contre les mages noirs, qui avait eu vent de l’attaque et espérait arriver assez tôt pour nous éviter la mort. Ils me soignèrent et je décidai de me joindre à eux temporairement.
Certain à présent que ma famille cherchait à me remettre la main dessus pour me compter dans le rang des mages noirs, je me cachai, refusant de te mettre en danger. Tu devais penser que j’étais mort, mais ça n’allait être que temporaire, hein ? Je savais ce que je devais faire pour que nous puissions être heureux, mais je ne voulais pas, cette fois, partager mon fardeau avec toi. Il fallait que je mette hors d’état de nuire ma mère et ma soeur pour que nous ne soyons plus des cibles. J’étais persuadé que d’ici quelques semaines, j’aurais sûrement commis l’impardonnable, mais nous serions en paix. Au final, peut-être tenais-je plus de ma génitrice que je ne l’aurais souhaité…
Les semaines se transformèrent en mois, en années, pendant lesquelles je m’acharnais à aider à saboter des attaques de mages noirs : tu aurais été fier de moi, hein ? Pourtant, tu me manquais tant que, progressivement j’eus la certitude que j’avais fait une erreur, je nous avais fait assez souffrir en nous séparant. Même si j’ignorais où tu étais, je voulais te retrouver. Juste une dernière mission… et je rentrais. Je commencerais par notre maison, celle que nous avions fait construire en Aquitaine, dissimulée par de savants sortilèges. A partir de là, je te chercherais…
Celle-ci me plaça face à mon frère, Avros. Et je n’étais, pas plus que lui, préparé à ce combat. Si je fus contraint à l’éliminer, je fus aussi capturé et ramené - enfin, aurait-elle dit - à ma famille. Je payai la mort de mon cadet, durement, avant même que nous ayons échangé la moindre parole.
Ils me demandèrent de les rejoindre en faisant preuve de bon sens, mais je ne cédai pas. Ils passèrent à des méthodes plus brutales. Doloris, coups, privations. J’y gagnai ma cicatrice à la lèvre, mais je ne cédai pas. Puis ils se menacèrent, mais j’avais assez confiance en toi : je ne cédai pas.
Alors ils lancèrent l’imperium sur moi.
Les deux années suivantes sont floues. J’ai regardé un autre agir avec mon corps, parfois, pas tout le temps. Je devins enfin le fils dont mes parents rêvaient. Je participais à la construction de ce nouveau monde, j’usais de mes connaissances comme ils le souhaitaient. Et, tout comme mes parents le rêvaient, j’épousai Hope Salamander, qui avait fait ses études en même temps que moi. Qui les avait terminées à Poudlard, elle. Qui était depuis le début impliquée dans ce dans quoi je plongeais sans même savoir que je ne le voulais pas. Je fus le mari, le mage noir que l’on voulait que je sois.
Puis on m’a collé Tom Salamander dans les bras. Mon fils, de tout juste quelques heures. Quelque chose se fissura : cette joie, j’aurais voulu la partager avec toi. Ce n’était qu’une brèche dans le sortilège qui m’emprisonnait l’esprit, mais je passai les deux années suivantes à l’élargir, avec la sensation de me retrouver, miette par miette.
J’aimerais dire que je suis parvenu à briser le sortilège d’imperium. Ce n’est pas le cas. Mais je me sens un peu plus moi-même, depuis que je parviens progressivement à élargir cette fissure, cherchant métaphoriquement à me faire assez de place pour pouvoir sortir. J’y travaille, pour te rejoindre, même si c’est pour confirmer que tu as refait ta vie. Pourrais-je t’en vouloir, alors que je ne fuirai pas sans mon fils ?
ANECDOTES
• Thaddeus portait son alliance en pendentif autour du cou, attachée avec une chaîne en or. Les deux hommes s’offraient des chaînes tous les ans, à leur anniversaire de mariage. Si le bijou a disparu, le mage porte autour d’un poignet une de ses anciennes chaînes.
• Malgré leur trop longue séparation et son état actuel, Thaddeus aime toujours son époux. Il reste résigné de sa situation, à cause de son fils.
• Il a toujours profondément détesté la magie noire. Au-delà des sorts en eux-même, c’est l’utilisation et la philosophie qui vont avec qui le choquent. Il n’est jamais parvenu à adhérer à cela, malgré un prosélytisme évident de la part de sa famille. Les enseignants rencontrés à Poudlard ont confirmé qu’il ne réussirait jamais à suivre la voie toute tracée par les White.
• Perdre le contrôle de sa magie l’effraie, même sous imperium. Il aime la finesse avec laquelle il sait manier sa magie, comme si c’était un garde-fou à ne pas tomber dans les travers de sa famille. Il a déjà perdu sa maîtrise sous la colère et s’il ne regrette pas, il craint de recommencer.
• Même si Eugène les cache beaucoup, les mains de celui-ci sont la partie de son anatomie que Thaddeus préfère.