« Que ce livre de la loi ne s’éloigne point de ta bouche ; médite-le jour et nuit, pour agir fidèlement selon tout ce qui y est écrit ; car c’est alors que tu auras du succès dans tes entreprises, c’est alors que tu réussiras. » — Josué 1 : 8
Pas de « Kindergarten » pour Aaron et Lennart Junior, seuls jumeaux monozygotes de la famille Ødegård. Monsieur et Madame sont religieux traditionalistes — pour ne pas dire
intégristes — tout comme ont pu l’être leurs propres parents : il parait que les chiens ne font pas des chats (ce vieil adage s’apprête pourtant bien vite à les décevoir). Sept jours à peine après leur naissance, les deux enfançons sont baptisés — bien que les exsufflations fussent courtes et les robes baptismales ridicules. Accoucher de jumeaux n’est pas de tout repos et
madame en aura vite connaissance : leur complicité est sans précédant et là où l’un fera une ânerie, l’autre cherchera automatiquement à s’en attribuer la faute. Le premier péché est bien là : le mensonge.
Il n’est encore qu’un pauvre
château branlant que l’éducation est déjà des plus strictes : avoir un grand-père Cardinal, ce n’est pas de tout repos. Les préceptes doivent être scrupuleusement suivis/respectés et autant dire qu’il veille au grain, l’ancêtre. L’eucologe devient vite son livre de chevet pour les sessions à l’église, le dimanche.
Six ans. Il se découvre une passion pour la natation et le piano — en opposition à Aaron qui intégrera une chorale et sera captivé par les galets peints un peu plus tard. Bon, par contre, il y a un point sur lequel ils sont d’accord tous les deux : le mélange miel, vinaigre de cidre, cannelle et jus de citron de
maman (pour les maux de gorge) est dégoûtant ; mais les suppliques pour y réchapper — oui, parce qu’ils préféreraient mourir que d’avaler ça — n’y changent rien. Notons également qu’à cette période, il est d’une timidité maladive.
Sept ans. «
As-tu prié avant de te glisser sous ces couvertures, Lennart ? » quelle question ! «
Oui, maman. » «
Quelle prière ? » «
Le Cantique de Syméon. » «
Et saurais-tu me dire d’où elle provient ? » oh, il a l’habitude de toutes ces questions vous savez, il n’y voit d’ailleurs rien de rustre, juste un rituel quasi-quotidien. «
De l’évangile selon Saint Luc. » «
En latin. »
hum ? Que - «
Lève-toi, agenouille-toi devant ton lit et récite-la moi en latin. » c’est là que le bas blesse : la messe tridentine s’effectue en latin et, pourtant, malgré cette éducation traditionaliste, il peine toujours autant. «
Nunc dimíttis servum tuum, Dómine… » gros blanc. Il cherche encore et encore. «
Eh bien ? » l’impatience de sa mère n’a pas son pareil et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il reprend un peu dans l’urgence, se répétant, bredouillant par là même. «
Nunc dimíttis servum tuum, Dómine… secúndum verbum tuum in pace, quia vo… ve–... vidérunt óculi me– » «
Tu ne la connais pas. La leçon date pourtant d’il y a à peine deux semaines. »
sa voix tranche dans l’air. «
Maman, je–... » «
Tu ne sortiras de cette chambre que lorsque tu connaîtras – sur le bout des doigts – les vingt-quatre chapitres de l’Evangile de Jésus-Christ selon Saint Luc. »
Ce week-end-là, il ne quittera pas – ou peu – sa chambre.De huit ans à dix ans et dix mois. Sans doute les années les plus longues et inconfortables de sa vie — de celles qui favoriseront encore plus l’installation de cette plaie que l’on nomme
mysophobie : il est envoyé à l’internat non-mixte et religieux intégriste (hors-contrat) de Leipzig, un vrai cauchemar — d’autant plus qu’Aaron n’a pas été envoyé dans la même pension. L’école est du genre discrète, cachée derrière d’épais murs de pierre et une végétation pour le moins luxuriante. Huit prières minimum par jour — une le matin, une avant et après chacun des trois repas quotidiens, et une le soir. Deux douches maximum par semaine — chronométrées, de surplus. Les punitions sont pour la plupart collectives, se résumant souvent à des séances de prières dans des couloirs aussi froids que la Mort en personne — il les connaît par cœur les impropères du Vendredi saint. Quant aux enseignements, ils sont des plus douteux : on y fait l’apologie de la peine de mort, on lui dit ouvertement que la Révolution des Français n’est qu’une imposture satanique, que la « race blanche domine », que le Coran « veut ruiner le dogme du christianisme », que toutes les autres religions sont dans l’erreur —
« La religion catholique est la seule religion qui ait été reconnue par Dieu lui-même. Elle est dépositaire de la vérité. ». C’est sans compter sur les privations de nourriture, les lavages de bouche au savon, les mises à l’isolement et autres humiliations. Dans un sens, aussi étrange que ça puisse vous sembler, il ne voit rien d’anormal à tout ça, non (pour dire vrai, c'est même à cette période qu'il se penche sur la complémentarité entre Eglise et politique) : c’est la clef d’un bon conditionnement.
Résultat des courses ? un endoctrinement certain et inquiétant.Le pensionnat refuse de le reprendre l’année qui suit.
La Sœur n’a pas souhaité communiquer pourquoi.
Lui, il
sait et ça n’a rien d’anodin.
La Magie accidentelle.
Voilà son chemin de Damas.
La timidité n’est plus et déjà il se montre plus rebelle.
On assiste à une scission nette entre les deux frères.
Introversion — extraversion.
Dix ans et dix mois. La mysophobie à son apogée : il ne quitte plus sa paire de gants et refuse de poser le moindre petit doigt dehors. Désabusés face à ces peurs irrationnelles,
madame et monsieur décident d’entamer — auprès d’un professionnel qualifié — une thérapie adaptée pour le rejeton. La psychologue ne parvient à lui arracher qu’un seul et unique mot : « inutile ».
« Lavabo inter innocentes manus meas » (« Je laverai mes mains parmi les innocents »), « ne me laissez pas succomber à la tentation », « mon Jésus, pardon et miséricorde par les mérites de Vos Saintes Plaies ! », « Seigneur, viens au secours de mon incrédulité ! » : tant d’oraisons jaculatoires et de prières qu’il connait par cœur.
Onze ans et six mois. Il retrouve les bancs d’une école privée, non sans mal. La coupure sociale de quelques mois fait qu’il apparaît comme un véritable petit sauvageon.
Douze ans ; l’âge de l’anathème. Une lettre des plus étranges est postée : il est officiellement un
Sorcier — sans doute un lointain atavisme. « Qu’est-ce que c’est encore que ces histoires ? » la cassure familiale est immédiate. « La magie n’est pas chrétienne » ce jour-là, il prend toutes ses économies — c’est à dire franchement pas grand chose — et part avec le parfait étranger.
Mener une vie d’anachorète plus tard, très peu pour lui : il forligne.
La Croix ne fera plus sa loi — ou du moins, c’est ce qu’il pense.
On ne se débarrasse pas si facilement d’une éducation.
Douze ans et quelques. Il débarque dans un univers dont il ne connaît absolument rien, traîné par ce qui semble être un membre de l’établissement. « Tous les frais pour les fournitures et l’inscription sont couverts par l’école pour les Nés-Moldus, mais il faudra que je t’emmène à la Grande Banque afin que tu puisses convertir le peu d’argent en ta possession et récupérer la clef de ton coffre. » en tout cas une chose est certaine : il se croirait au Moyen-Âge avec ces histoires de robes, châteaux et matériaux assez... rudimentaires — sans parler de leurs expressions toutes plus surprenantes les unes que les autres. Naturellement, bien vite il transgresse et se moque des codes : à trop interdire à un enfant, on le pousse en fait à la faute.
« Retourne d’où tu viens ! » oh non, les Sorciers d’ascendance moldue ne sont toujours pas les bienvenus — pour certain.e.s — dans ce vaste monde (s’il ne le savait pas en arrivant, il l’a très vite assimilé). Alors comme ça, ça existe aussi le racisme chez les Sorciers ? cet euphémisme. Parfois on le regarde comme une véritable bête de foire — ce n’est pas que c’est marqué sur son front, mais il s’étonne encore de choses très... normales pour un sorcier lambda, cqfd —, on lui pose des questions qui passent aisément pour de la curiosité déplacée — sans pour autant que ça tombe dans la discrimination —... ou on l’insulte.
« T’es trop bizarre ! tu fais pitié. Espèce de Sang-de-Bourbe ! » et si c’est là la seconde forme de rejet qu’il connaît dans sa vie, pour lui, il y a bien pire : la colocation. Un calvaire sans nom qui, non seulement lui rappelle Leipzig, mais qui le force surtout à respirer le même air que deux autres individus de son âge qu’il ne connaît ni d’Ève, ni d’Adam : ces deux
microbes répondent aux — pénibles — prénoms de Benedikt et Jasper. Longtemps il s’y refuse, quémandant à plusieurs reprises une chambre individuelle, mais la réponse est toujours la même : « non ».
Il y a les crises qui se font à nouveau plus persistantes — les lavages sont très rapprochés, il est tétanisé —, les tremblements qui lui prennent le corps en permanence, ces nausées dérangeantes — il en vient même parfois à réellement renvoyer — quand ils se retrouvent à trois dans cette même pièce ou qu’il aperçoit des chaussettes (supposément sales) sur son lit — et quelle catastrophe lorsque l’un des deux effleure malencontreusement ses affaires ! — : vous n’imaginez même pas le nombre de nuits qu’il préférera passer devant la porte du dortoir, adossé au mur, plutôt que dans son propre plumard.
C’est cette même année que, pris d’une énième crise, il entreprend de se laver les mains avec le Nettoie-Tout magique de la mère Grattesec trouvé dans l’armoire du concierge... et qu’il comprend sa douleur : le voilà brûlé au second degré superficiel. Heureusement que la magie sait faire des miracles — et que l’infirmière (qu’il déteste tant) est patiente.
Treize ans. C’est officiel : il abhorre les cours de potion et tout ce qui s’y apparente.
Quatorze ans. Sans doute l’une des années où il s’octroie le plus de libertés — dans tous les sens du terme. Les lectures personnelles s’accumulent à n’en plus pouvoir — non, son intérêt pour la politique ne tombe pas du ciel —, s’autorise des sorties nocturnes en solitaire, s’initie à la métamorphose totale — devenir Animagus n’est pas la chose la plus simple qui soit —, se penche sur des sorts interdits et fait des expériences de création de sortilèges sur des familiers — vous ne voulez pas savoir.
Plus ; il en faut toujours plus. C’est la
renaissance et aussi l’âge des premiers émois amoureux, bien qu’ils soient pratiquement tous inavoués : il s’éprend notamment d’une Vélane dont il voit assez vite le mauvais côté et se promet qu’on ne l’y reprendra plus.
Quinze ans. Le Billywig ne l’a pas épargné. « Loué soit Paracelse, vous n’avez rien ! enfin... vous allez encore flotter quelques heures — ou quelques jours — tout au plus : j’espère que vous avez de quoi vous occuper ou quelqu’un pour vous tenir compagnie, jeune homme. » ce jour-là,
il répond encore présent. «
Au moins tu es sûr que personne te touchera de là-haut. »
Benedikt. «
La ferme. » deux jours à planer : jamais
Mille herbes et champignons magiques de Phyllida Augirolle ne l’aura tant captivé.
Seize ans. Le voilà préfet. C’est précisément le deux novembre qu’il fait la connaissance de Hlodowig Damgaard, directeur d’Obliviate — sans doute le Sorcier pour lequel il éprouve, aujourd’hui encore, le plus de respect —, homme d’une mansuétude et d’une tendresse ineffables. « Vous apprendrez bien vite que je ne laisse rien au hasard, jeune homme. » la première entrevue d’une longue série : il est celui qui l’inspire. Ce souvenir est, pour lui, de ceux qui sont immarcescibles.
Dix-sept ans. Celeste Kaczynski ; une véritable sylphide. Cette fille le rend fou : elle est sa préférence. Et dire que cette rencontre est le fruit du hasard, une simple histoire de mauvaise table réservée à la bibliothèque. «
Kaczynski, tu dis ? » « Ouais, la fille du politique. Mais tu sais, te fais pas trop d’idées, c’est le genre
reine des glaces, tu vois ? »
l’amour, cette maladie sexuellement virale. Il craque en si peu de temps. Assurément qu’elle lui fait du charme : elle est blonde, a un teint lactescent, est cultivée, plus âgée (de deux ans son aînée), affreusement douée, plantureuse, féministe et donc nécessairement engagée (elle a grandi dans une famille de politiciens membres du Ministère).
Sa voix cristalline le déshabille. Ses déhanchés et ses soupirs le mettent à quia. Elle est pendue à son regard.
Que demande le peuple, franchement ? La coquille de méfiance est tellement vite percée. Et ils se revoient. «
Retrouve-moi ce soir à la volière ~ » beaucoup de fois. Elle coquette (non, non, aucun mot n’a été oublié, nous parlons bien du verbe
coqueter). «
Je t’aime. » ils se revoient peut-être même
beaucoup trop de fois. Ils flirtent : n’allez pas croire que le contact physique se fait aisément, non, non, bien au contraire — il serait d’ailleurs malhonnête de ne pas reconnaître la persévérance de Celeste. Mais elle a cette façon d’être belle — autant intellectuellement que physiquement (selon ses critères) — qui l’ensorcelle, littéralement, et dont il ne se lasse jamais.
Ses murmures et ses regards sont emplis de magie ; il la mignote et la dorlote. Elle devient la lumière de son Paradis noir : c’est une divinité en mouvement.
Dix-huit ans. « Finissez votre formation et rejoignez-moi. » c’est sur ces mots que se termine la dernière lettre de Damgaard.
Vingt ans. «
Je te le dis, tu retireras tes gants avant la fin de l’année, foi de Bene ! » que voilà une tâche ambitieuse : le tout débouche sur un gage sans queue ni tête. «
Tu perds ton temps, mais j’accepte. Commence à économiser des Gallions : les robes de bal coûtent cher et j’entends bien choisir le modèle qui te mettra la plus en valeur. » le bal de fin d’année : Benedikt a perdu.
Forcément qu’il a perdu, à quoi vous attendiez-vous ? Quelle charmante robe princesse rose bonbon que voici.
Vingt-et-un ans. Il entre au Ministère de la Magie allemand, publie bon nombre d’articles politiques et donne quelques cours en parallèle à Obliviate : une réussite mirifique en soi. L’ambition le rend sourd à bien des choses et des gens. D’abord discrets et maîtrisés, ses articles vont bien vite attirer l’attention : ils ne vont pas forcément dans le sens des idées du Ministre actuel, ce qui finit par créer quelques tensions et par diviser des groupes pourtant loyaux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est dans l’opposition constante.
Vingt-deux ans et dix mois ; un quinze mai —
noces de mai, noces mortelles. « Quel magnifique mariage Lennart et quelle réception hors norme ! » le moins que l’on puisse dire, c’est que Celeste a toujours eu cette fibre pour l’événementiel. « Et c’est sans parler de cette chance que vous avez de réussir à supporter votre beau-père : aux dernières nouvelles, il n’est pas des plus faciles au Ministère. Maladivement lâchant avec sa fille, mais extrêmement sévère avec ses gendres : votre intérêt pour la politique et ses divers travaux ne doit pas être étranger à votre entente, je suppose. Il n’a cessé de me chanter vos louanges et, par Merlin, vous semblez en connaître un sacré rayon mon vieux ! » «
Notre entente suppose bien des choses, en effet, monsieur Rinshield, mais j’aimerais tout autant que les ingrédients de cette amitié si joviale demeurent secrets. Après tout, il ne faudrait pas qu’il vienne à vous préférer comme gendre à ma place pour sa perle, n’est-il pas ? » un trait d’humour, ni plus, ni moins — non, non, il n’en est pas dépourvu. Du coin de l’oeil, il observe sa femme et sa robe blanche si alliciante. Damgaard est de la partie et lève un verre en son honneur.
Vingt-deux ans et onze mois. Avec le temps vient son lot de malheurs ; la situation est plus qu’instable chez les Sorciers : le célèbre Harry Potter vient de périr de la main d’un Mage Noir encore non identifié. En cette période difficile, la limite entre vésanie et raison est très mince pour bon nombre de Sorciers.
Vingt-trois ans et un mois. La situation dégénère et le Ministère allemand est pris d’assaut — forcément, ce jour-là, il était de permanence dans son bureau politique : la fuite est la clef. Non, il n’est pas seul à ce moment précis, — nul ne sait ce qu’il advint des deux Sorciers qui l’accompagnaient.
Vingt-trois ans, un mois et une semaine. Il gagne Obliviate, trouvé par Sieur Damgaard en personne. « Vous m’avez donné du fil à retordre. »
la conversation de ce soir-là demeure un mystère.Vingt-quatre ans et deux mois. « J’ai bon espoir que votre rigueur exceptionnelle puisse remettre quelques cas
troublants sur les rails. Qu’en est-il donc de votre dernier article ? Nous n’avons pas réellement eu le loisir de nous entretenir ces dernières semaines et je dois bien vous avouer que je suis quelque peu contrarié... hum, une gomme de Limaces ? » contrarié ? Bien des années qu’ils sont dans la confidence tous les deux, d’une proximité apte à pousser aux questionnements les plus absurdes et inappropriés. «
Non merci. »
Vingt-six ans. Le lac ; la limpidité de son eau et la viscosité de ses spirogyres.
Vingt-sept ans. «
Est-ce que quelqu’un sait si monsieur Tomfiel compte nous gratifier — ou non — de sa présence ? » il n’est ni le plus commode, ni le plus apprécié des professeurs (et autant vous confier qu’il se contrecarre de l’image qu’il peut bien renvoyer) : il n’est aucunement présent entre ces murs pour se lier d’amitié avec les étudiants (et encore moins avec le personnel — exception faite depuis bien longtemps pour le directeur). «
Votre chemisier, miss Callaghan. » «
Soyez votre propre repère moral. »
Vingt-neuf ans. « J’ai un bon sentiment concernant nos nouveaux arrivants. » «
Vous l’avez déjà dit le mois dernier. Et il y a deux mois aussi. »
Un vingt mai deux-mille-seize. Obliviate pleure Hlodowig Damgaard. Les baguettes sont levées. « Votre nom est inscrit sur le testament. »
stupéfaction — pas la sienne, non, mais celle des autres : on se persuade qu’il a fait quelques manoeuvres aigrefines pour se voir mentionné sur le parchemin.
Trente-et-un ans environ. Un, deux, trois verres de cognac. « Toutes mes félicitations Ødegård... vous avez réussi à prendre le poney de Catogan ; qui l’eût cru ? » il est officiellement le dirigeant de cet établissement et le nouveau Gardien du Secret — il y a bien des choses que vous ne savez pas sur ces lieux. Néanmoins, c’est une victoire tellement éphémère (et âcre à la fois) à ses yeux.
Trente-deux ans. «
[...] Quiconque surpris en train d’essayer d’outrepasser les frontières de cette citadelle — quelles que soient les raisons évoquées — subira instantanément un sortilège d’Amnésie et sera renvoyé. » le discours est compendieux mais clair. Les règles sont beaucoup moins souples.
Trente-trois ans. Vingt mai. Date anniversaire. Un bouquet de Lewisia prône devant l’entrée de ce caveau si spécial — qu’il doit être l’un des seuls à encore visiter. Souvent, il lui parle (de tout et de rien), adossé à la crypte.
Trente-quatre ans ; un premier février. Celeste devient une Auror interne : l’opportunité de se retrouver un peu. Néanmoins, la situation au-dehors est on ne peut plus tendue. « Une missive de Durmstrang, monsieur Ødegård. » «
Déposez-la. »
les lunettes sont ajustées sur le pont de nez tandis que la lettre se décachette seule pour se déployer sur le bureau en acajou. « Treize janvier deux-mille-vingt. Ødegård, à l’heure où je vous écris, la situation est critique [...] La seule chose dont je sois certain, c’est que nous ne tiendrons pas un semestre supplémentaire [...] Je compte sur votre bienveillance et votre discrétion pour commencer un rapatriement progressif dès réception de ce parchemin [...] Prenez garde aux ennemis invisibles [...] Il semblerait que le Sortilège d’Amnésie ne soit plus suffisant dans notre cas [...] La communication avec Koldovstoretz a été mystérieusement interrompue, je crains qu’elle ne soit déjà tombée [...] Dîtes à vos Gardiens de passer par les montagnes et d’éviter au mieux les airs [...] Puisse le sort nous être favorable [...] » Durmstrang a toujours été de ces écoles reculées, peu enclines aux demandes d’assistance : l’heure est à l’action.
La langue claque. «
Réunissez le Conseil. » le début de la fin pour la si controversée Durmstrang.
Encore un anniversaire. La vie défile. «
Vite ! vite ! »
il peste et en viendrait presque à grogner. «
Allez, fais donc un petit effort ! on n’a pas trente-cinq ans tous les jours... ça te changera un peu les idées, idiot ! Pas de quoi arracher une aile à un dragon ! » elle marque une pause avant de lui saisir la manche droite. «
Et puis de toute façon tu n’as pas le choix, tout est déjà prêt, ils n’attendent que toi dans la Grande Salle. Allez, ne joue pas au troll des marais... Ne fais pas comme l’année passée, Ossian, s’il te plaît... » que d’enthousiasme pour une fête organisée par le reste du personnel : mais il faut dire qu’ils n’ont pas fêté d’anniversaire tous les deux depuis bien des années maintenant. «
Hum ? » ses défenses finissent par tomber face à la moue boudeuse de l’Auror — il ne sait jamais lui résister dans ce genre de moments. «
D’accord. » «
D’accord... ? » «
Je vais faire un effort. » regardez-moi ce joyeux pantin — et focalisez-vous ensuite sur la blonde qui vient de lui sauter au cou. «
Mais ne t’attends pas à ce que je reste avec vous des heures. » non, il n’aime toujours pas ne pas avoir le dernier mot.
L’ambiance est cordiale. Il est presque détendu parmi ce beau monde ; il se déride, même.
Elle revient vers lui — vêtue de cette robe à la blancheur liliale qu’il aime tant lui voir porter. «
Je sais que tu voulais mettre un frein à ta consommation, mais tu ne refuseras pas ce soir, hum ? » il l’observe, ce verre de vin rouge qu’elle lui tend, quelques secondes, et finit par se l’approprier. «
Tu sais me faire déroger de mes principes. » qu’il lui lance, amusé. Une robe intense, une limpidité impeccable, une bonne fluidité. Première approche et les papilles sont ravies : en bouche, il est soutenu — agréablement acide — et subtil.
Première hémicrânie pulsatile et bâillements incoercibles. Trois heures vingt plus tard. « Souhaitez-vous un autre verre de vin — ou peut-être autre chose —, monsieur Ødegård ? » «
C’est fort aimable de votre part, mais je pense m’arrêter là pour ce soir, je n’ai d’ailleurs même pas encore terminé celui-ci. » «
Allons, ne me fais pas croire que tu en as déjà assez ? » il cède :
troisième verre et énième gorgée — n’allez pas croire qu’il
est sous la pantoufle de sa femme, il a juste beaucoup de mal à dire
non à un verre de vin, voilà tout.
Asthénie qui se généralise : mais il ne s’en formalise pas plus que ça, ce n’est pas la première fois que ça lui arrive après tout, sans doute une baisse de tension. Et puis il y a ces picotements désagréables sur le bout des doigts. «
[...] Ossian [...] ? » même sa voix lui paraît lointaine ; il ne percute pas de suite qu’elle s’adresse à lui. «
Hum ? »
focus. «
Je disais que tu n’as pas l’air bien. Veux-tu que je t’accompagne jusqu’à nos appartements ? » «
Un simple coup de fatigue, ça me passera. » «
Tu es sûr... ? » la voilà qui vient susurrer à son oreille, le faisant légèrement se pencher sur la droite. «
Moi je connais un très bon moyen de faire passer ce genre de choses, et je suis certaine que tu vois de quoi je veux parler... » elle lui sourit avant de l’attraper par la cravate et le faire venir à sa suite : ils s’engouffrent discrètement vers la sortie de la Grande Salle pour gagner les couloirs.
«
La salle des Miroirs ? » un pas de clerc que d’accepter — et c’est tellement peu dire.
C’est en fait la dernière chose dont il se souvient.« Son pronostic vital est plus qu’engagé. »
Un coma profond aréactif, à la limite de la mort cérébrale. Six semaines. Très vite — dès les quatre premiers jours —, cette absence attise la curiosité de certain.e.s et les rumeurs vont bon train :
« T’as vu, y’en a qui disent que Ødegård est mort la nuit dernière ! »,
« Je parie un troll rose qu’ils ne font pas une annonce officielle car ils ont peur de créer la panique ! »,
« Moi ce que j’ai entendu, c’est que Ødegård aurait été transformé en gargouille et que ses yeux sont tellement effrayants qu’il pourrait te transformer en bloc de pierre ! »,
« [...] il aurait sauté du pont couvert suite à un sortilège d’Imperium, tu te rends compte ? »,
« [...] j’ai même entendu dire qu’ils n’ont pas encore retrouvé son corps. » Des clabauderies, ni plus, ni moins : seules trois personnes sont
dans la bouteille à l’encre. — la guérisseuse MacAlister, un Auror et le sous-directeur.